Notre histoire

Le 14 Septembre 1734, un nommé Pierre Caudet ou Code vint installer un magasin de confiserie rue Derrière-Saint-André, actuellement rue d’Agier dans la partie de l’immeuble appartement à Alexandre Morard, sieur de la Bayette, situé à l’angle de ladite rue et de la place Saint-André. Il avait comme voisin François Dagonneau, horloger, qui occupait la boutique en  facade de la place. 

En 1739, lorsque Dagonneau eut cessé son commerce, Caudet loua le local et ses dépendances pour y ouvrir un café. C’est l’origine du café de la Table Ronde. Grâce au voisinage du Palais de Justice, son établissement fut bien vite achalandé et devint le lieu de réunion des plaideurs et des gens de loi. 

Caudet se retira des affaires en 1776 et vendit son fonds à Antoine Joseph Flandrin. Flandrin était marié à Marie Bourdonnait Gilibert dont il eut quatre enfants. Il était secondé pour le service de sa nombreuse clientèle par une servante. Une légende prétend qu’en 1787, cette servante était Catherine Amour ou Lamour qui fut la maîtresse d’un sergent du Régiment Royal Marine, Charles Bernadotte, devenu plus tard baron d’empire et roi de Suède, dont elle eut une fille, née le 4 août 1789, qui ne vécut que 28 jours. 

Lorsque le Parlement du Dauphiné entama la lutte contre le pouvoir royal, Flandrin, dont la clientèle se composait surtout de Clercs de la basoche, ne pouvait pas moins faire que de soutenir leurs protestations. Déjà empreint de l’esprit révolutionnaire, il ne manqua aucune occasion de faire connaître ses sentiments. 

C’est ainsi que, dans un petit opuscule publié après la journée des tuiles : “Récit des fêtes données à Grenoble au retour du parlement les 12 et 24 octobre 1788 “ qui signale parmi les principaux transparents que l’on voyait aux fenêtres suivant l’usage de cette époque pour exprimer le sentiment public, nous trouvons “Place Saint André, sur la porte du café du sieur Flandrin, au milieu de deux dauphins entrelacés, une colombe figurant l’esprit céleste descendait sur les balances de la justice. Au dessous de ces balances étaient deux épées en croix. Des deux côtés s’envolaient des pyramides et plus bas une étoile avec ces vers :

     Du voyageur surpris par une nuit obscure

     Cet astre lumineux rend la route plus sûre.

     Ainsi le vrai Français pour défendre ses droits

    Prend Thémis pour soutien et pour guide les lois.

Dans le second transparent, placé sous celui que nous venons de décrire, on voyait un dauphin, la gueule béante, avalant la tête de deux ministres que le diable retirait par les pieds. on lisait au dessous : “ Duo bellatores de proeda concertant “ (Deux combattants se disputent au sujet du butin) et dans le bas “ La dépouille toujours appartient au vainqueur “.

En 1792, ses deux fils, âgés de 26 et 18 ans servaient dans les armées de la République.

L’établissement de Flandrin bénéficia certainement d’un supplément de clientèle lorsque la société Populaire fut autorisée à tenir ses réunions dans l’église Saint André, aménagée à cet effet, du 10 frimaire an II ( 30 novembre 1793) au 19 germinal an III ( 8 avril 1795).

En 1797, Flandrin céda son fonds à Jacques Louis Genoud, natif d’Argentine ( Savoie), qui exploitait auparavant l’hôtel des Princes à Montélimar.

Pour signaler cette mutation au public Genoud fit paraître l’annonce suivante dans le numéro 42 du journal Courrier patriotique de l’Isère du 23 Mai 1797 :

“Avis, le citoyen Genoud avertit qu’il tient la glacière et vend de la glace en gros et en détail et fait des glaces. Son café est situé place Saint André, où demeurait le citoyen Flandrin.”

La glacière dont il est question dans cet avis existait depuis fort longtemps ; elle était installée dans le petit bâtiment à rez-de-chaussée et un étage situé rue Derrière-Saint-André et contigu à l’immeuble du conseiller de Charconne, successeur de Morard de la Bayette, elle fournissait la glace nécessaire aux habitants de la ville.

Afin de rester à la hauteur de la réputation du café qu’il venait d’acquérir, Genoud fit peindre une superbe enseigne et le café Flandrin devint celui de la Table Ronde. Un journaliste de l’époque, dans un article sur les enseignes commerciales locales, publié dans le numéro 68 des Annales politiques et littéraire du département de l’Isère, en date du 05 juin 1808, signale en première ligne parmi celles qui font “le plus honneur au pinceau de nos artistes “ celle de la Table Ronde, place Saint-André.

On peut se demander à quel motif avait obéi Genoud en choisissant cette enseigne. Existait-il une table ronde au milieu de son établissement ? Est ce en souvenir des chevaliers qui, d’après certaines traditions littéraires, s’asseyaient sans distinction autour d’une table ronde comme signe d’égalité entre eux et pour supprimer toute préséance ? Est ce pour tout autre motif ? On ne possède aucune précision à ce sujet.

Dès les premiers jours, Genoud avait dû s’acquérir une sérieuse réputation si l’on s’en rapporte à une invitation lancée par les officiers de la garnision pour une fête qu’ils avaient organisée à la fin de l’été 1797. Dans cette invitation, rédigée en vers légers et sans prétention, on promet aux dames pour les allécher :

    Puis à vos pieds, le citoyen Genoud

    Qui, comme on le sait, est un homme de goût

    Déposant mainte sabotière,

    Humectera vos palais délicats

    Par les doux fruits de la glacière.

Genoud était marié à Jeanne-Angélique Jourdan dont il eut sept enfants, quatre garçons et trois filles. En 1809, il vendit son fonds à un nommé Pérodon et ouvrit un magasin de confiserie dans la rue du Palais. Il mourut le 12 janvier 1816, âgé de 47 ans.

Parmi ses quatres fils, Antoine-Eugène, acquit une certaine célébrité comme publiciste dans la première moitié du XIX ème siècle. Il était né à Montélimar le 9 février 1792 et, lorsque son père vint s’installer à Grenoble, il entra comme externe au Lycée de notre ville où il fit de brillantes études. Stendhal qui ne l’aimait guère et le traitait d’ “âme damnée des jésuites” prétend dans sa Vie d’Henri Brulard, qu’il l’avait connu lui servant son café “sans bas” au café de la Table Ronde. Or, outre que Stendhal commet une profonde erreur en situant ce café dans la Grande Rue, le jeune Genoud n’avait à cette époque que cinq ans, et on le voit mal servant les clients à cet âge alors que son père avait à son service un garçon et une bonne.

Au mois de mars 1810, Antoine-Eugène Genoud partit à Paris où il eut une carrière mouvementée. Professeur de sixième dans un collège de la capitale, lors du retour de Napoléon de l’île d’Elbe, en 1815, engagé volontaire dans l’armée Royale du Midi, nommé capitaine et aide de camp du prince Jules de Polignac, à Chambéry ; envoyé auprès des autorités de Grenoble, dans le but d’empêcher, au nom de Louis XVIII, l’occupation de la ville par les alliés mission qu’il remplit avec plus de zèle que de succès, entré à la rédaction du journal Le Conservateur, fondateur du journal Le Défenseur, directeur du journal L’Etoile et enfin propriétaire de la Gazette de France. Après la révolution de 1830, créa La Nation et Le MondeCatholique ; envoyé à la chambre des députés par les électeurs de la Haute Garonne, il mourut aux îles d’Hyères, où il était allé pour rétablir sa santé, le 19 avril 1849.

Perodon,qui avait succédé à Genoud, en 1809 ne tint le Café de la Table Ronde que fort peu de temps et vendit son fonds à un nommé Bertrand qui le céda, en 1814 à Charréard cadet, dont le neveu Jean-Bapthiste Charréard vint installer dans le magasin contigu, sur la place Saint-André, un restaurant qui avait une certaine réputation et qu’il exploita jusqu’en 1819, pour se rendre ensuite acquéreur de l’ancien Hôtel des Trois Dauphins, six rue Montorge.

Depuis cette époque jusqu’à nos jours, les proprétaires succesifs du Café de la Table Ronde se contentèrent d’exploiter commercialement leur débit de boissons et de mettre leur salle de réunion à la disposition de Cercle des Instituteurs, en 1886, de l’Orphéon Municipal, pour ses répétitions, en 1892, de l’union des pêcheurs à la ligne, etc…

Dans un article publié dans la Dépêche Dauphinoise du 23 mai 1944, Edmond Guiraud rappelle que “ ce Café fut longtemps cher aux journalistes Grenoblois. Il y a une vingtaine d’années, l’amitié était chez les chevaliers du reportage le vrai nom de confraternité. Une sorte de coopérative des nouvelles fonctionnait dans le débit de boissons où, mensuellement, un mâchon était servi à tous. Avec tant d’autres choses ces traditions se sont perdus “ et j’ajouterai aux regrets d’Edmond Guiraud “sans apporter aucun élément nouveau ou intéressant à notre petite histoire locale “.